Ne jamais rien mettre entre une proie et son chasseur... [Marcus & Jeoren]

- Quel temps de merde alors…

S’exclama Jeoren en posant son pied sur le bitume noir, le gris du ciel se reflétait sur le brillant de ses belles chaussures à peine cirées. Sans même ouvrir les yeux on pouvait sentir l’air remplit d’humidité, la pluie fraichement tombée montait jusqu’à ses narines presque nauséeuses. S’il y a bien un temps qu’il détestait, c’était l’entre hiver-été. Parce que ça pue, parce que c’est trop moche, parce que … tout quoi. Quitte à faire froid, qu’il le fasse pour de bon. De son air le plus bougon (qui passe pour de la froideur), notre cher monsieur parcourut son petit bout de chemin jusqu’à sa belle Suzuki qui n’attendait que lui. C’est bien l’unique jolie demoiselle qu’il garde. Et là, le pur bonheur.
A chaque homme son petit joujou. Celui de Jeoren était un petit peu plus gros que ceux des autres mais qu’est-ce qu’il l’aimait. Sa passion : la vitesse. Se sentir submerger par le vent, tel un oiseau de compétition. On se sentait tellement libre sur une moto. Fusionnant avec l’engin, on était transporté. Les douces lumières de la matinée se dessinaient en de longs traits fins, telles des danseurs étoiles, entre chassé et croisé. Ils vrillaient et filaient vers un infini inconnu.

Après cette belle demi-heure tout en finesse et vitesse, la Suzuki se gara le long du trottoir devant l’immense bâtiment. Celui-ci se tenait fier, comme le fleuron d’une flotte ; hissez les voiles et branle-bas de combat ! Mais ce n’était pas des petits matelots qui y entraient mais plutôt des hommes tout de blanc et noir vêtus comme une masse uniforme qu’on menait à l’abattoir. Déjà moins glorieux, nous somme d’accord. Mais au lieu de nourrir un sentiment de peur, un sourire ravit se dessina sur le visage de Jeoren. Comme un diablotin qui se glisse traitreusement : Qu’on me les amène !
Finalement, il avança vers la foule de travailleurs, mais remarquez sa cravate rouge…

Décidément partit de bonne humeur pour crier sur le monde entier, Jeoren posa un pied dans les bureaux de l’Intelligence Economique. Tous les regards étaient baissés alors qu’il parcourait le peu de chemin vers son bureau à lui. Et dans un silence limpide son regard presque sadique scanna la pièce à la recherche de chair fraiche. Mais tout le monde savait que celui qu’il voulait c’était lui : Marcus Smart. Jeoren savait pertinemment qu’aujourd’hui le jeune homme serait dans ses bureaux-ci, pour une quelconque opération sur tel ordinateur. C’était presque un sixième sens entre le chasseur et sa proie. Après un effort minime de fixation, le dos de l’agent devint comme un étendard de guerre, appelant à la violence ou à l’intimidation. C’est ainsi que de sa voix la plus mielleuse possible, Jeoren voulut redonner le trop plein d’automne, de monde, de bruit, sur ce petit bout d’être face à lui.

- Bonjour Marcus. Il fait beau tu ne trouves pas ?

Un silence digne d’une scène macabre dont on ne voudrait pas déranger l’atrocité régnait dans ces bureaux. Jeoren se délectait avec un plaisir maladif de cette peur qui restait en suspend, cette peur qui était crée par lui. Et pourtant, il pouvait sentir dans les regards de ces chers petits employés une minuscule crainte qui se différenciait du reste. On ne trompe pas l’intuition de Monsieur Enery, c’est Jeoren qui trompe l’intuition (si si j’vous jure). Il lui semblait presque que des murmures parcouraient l’air, à la même vitesse que lui avançait. C’était donc dans cette suspicion étrange qu’il s’était dirigé vers sa victime préférée, Marcus.

Il avait pourtant utilisé sa voix la plus cruelle, celle de l’homme qui n’attend qu’à voir sa proie abattue. Sa mauvaise humeur criait presque à travers ses quelques mots. Mais la réponse qu’il avait reçut ne lui avait vraiment pas plu. Une magnifique journée en perspective. Et mon c** c’est du poulet ? Bah non fait moche, et sa « victime » lui tourne le dos, et croyez le, ce n’était pas normal du tout. Vous imaginez ? C’est comme si un jour votre enfant vous disait d’aller aux toilettes, ou que vos poissons rouges vous nourrissaient. Impossible.

- J’espère avoir mal entendu. Puis votre mère ne vous a jamais apprit le respect, soit ne jamais tourner le dos à quelqu’un qui vous parle ?

Il avait crié avec une telle force qu’on n’entendait plus la respiration des autres personnes dans la salle. Comme une inspiration qu’on prenait pour se plonger dans l’abîme de l’oublie, ils ne désiraient rien d’autre que de disparaître. Les sons de sa voix vibraient encore à travers les murs du département. Quelques curieux néanmoins s’étaient redressés, avide de sang ou de violence. Le temps s’était arrêté, suspendu dans son plan machiavélique. Ployant sous la voix grave et puissante de cet être que l’on disait sadique.
Après un tel cri on aurait pensé qu’il aurait été essoufflé, peut-être rouge de colère et d’excès. Mais seul son visage calme et impassible n’était visible. Pourtant tout en lui fulminait la rage, il ne savait s’il devait étrangler cet homme ou le briser moralement. Et c’est exactement cette fureur que tout le monde s’évertuait à fuir. Pire que la peste, pire que les maux les plus horribles du monde, il y avait un homme que tout le monde regrettait d’avoir rencontré.

- Et laissez moi ce foutu ordinateur où il est, il ne va pas en mourir après tout.

Cette phrase aurait pu être prononcée d’une manière tout à fait flegmatique, voire nonchalante. Mais le ton y était cinglant et provocateur, elle n’inspirait que le dégoût ou la crainte. Car tout ce que Jeoren espérait c’était qu’on le respecte voir qu’on le fuit.

Ils étaient là, debout, comme deux acteurs d’une tragédie grecque nouvelle édition, dans un théâtre trop petit pour leur différent. Néanmoins ce différent ne parlait pas de femme, ni de bataille. Elle n’était même pas d’honneur ou d’égal, il s’agissait de grandeur. Sûrement celle de leurs assurances respectives. Entre l’homme droit, et l’homme courbé en face, lui tournant le dos. Mais Jeoren s’en foutait, il la piétinait cette différence, lui montrait sa médiocrité et sa petitesse. Par pur plaisir ou sadisme. Devant un public horrifié, mais se pendant à chaque parole prononcée.
Marcus ne se tournait toujours pas. Absorbé par un pseudo intéressement qui n’était qu’une excuse à sa peur. Dans un sens cela ne faisait que renforcer sa carrure, son rôle de dominant. Cependant il détestait ce manque de respect. Il n’était pas une vulgaire pièce de théâtre, trop sombre et complexe pour qu’on ne lui prête une quelconque attention. Malgré qu’il ne l’avouera jamais, Jeoren ne s’adonnait qu’à la perfection. Et pour lui, Marcus ne lui inspirait qu’une faiblesse, que ce soit dans le travail ou dans la vie en général. Il y avait dans tout cela une pitié qui parvenait presque à de la compassion (lisez bien le presque tout de même). Mais sadisme et compassion s’opposent, c’est pourquoi tout ressortait en une cacophonie de cries et d’ordres plus humiliant les uns que les autres, le sadisme n’en ressortait que plus fort.

Enfance et souvenir. Deux mots qu’on prenait pour tendre, mais tout le monde vous le dira, il y a souvent des blessures plus profondes que le présent de disfonctionnements. Pour Jeoren, Marcus était le fruit d’une adolescence troublante et renfermée. Comprenez sa surprise en entendant déjà qu’il était amnésique, mais encore plus en le regardant se dévoiler ainsi. Jamais sa vie familiale n’avait pour ainsi dire empiétée sur son travail. Il n’était pas le type d’homme à se laisser piéger par ses origines mais encore moins à l’énoncer face à de parfaits inconnus. Cela ne fit qu’agrandir, le sourire qui naissait à la commissure de ses lèvres. Mon petit, ne me donne pas le bâton avec lequel je peux te battre.

- Et bien j’espère que votre amnésie ne vous a pas non plus fait oublier qui j’étais. Votre mère serait-elle vraiment fière de vous à l’heure qu’il est ? A parler ainsi.

Il avait presque envie de rire de cette médiocrité, de la voix chevrotante de ce petit être qui se voulait fier. On ne s’apitoie pas sur quelqu’un qui se donne en spectacle, c’était une des règles que s’était fixé Jeoren. S’il croyait s’en sortir par des petites piques lancées à tout va, c’était perdu d’avance. Il l’aurait bien envoyé courir après un homme imaginaire à travers tout l’établissement, mais Marcus avait probablement attendrit les quelques femmes que composaient le département qui lui aurait montré tout l’envers de la farce.
Le dos courbé qui faisait alors face à Jeoren devint un visage fatigué et tiraillé par soit de l’intimidation, soit de l’exaspération. La première option lui était plus plaisante, mais il ne devait pas pour autant mettre un terme à son humiliation. Et ce fut sur cette minuscule phrase que la proie chercha à terminer sa punition. Pathétique. Je ne fais que mon travail, mais passons… Ses propos transpiraient le manque d’intérêt et la paresse. Et c’est bien ce dernier terme que Jeoren haïssait au plus haut point. La paresse de certains abat les montagnes que d’autres hommes ont construites. C’était peut-être là, le grain de riz qui fait pencher la balance.

- Passons ? Vous vous croyez en maternelle ? On est pas ici pour dessiner des poneys sur du papier kraft. Je me ferais un plaisir de trouver la moindre faille dans votre comportement, ne serait-ce que votre paresse qui ne cesse de s’exhiber. On ne vous demande pas d’agir avec des ordres mais de réfléchir un minimum.

Jeoren aurait pu passer des heures, voir des jours sur ce sujet. Le travail, c’était une valeur, pas un simple accessoire dans la vie. Et l’imperfection lui donnait la nausée.

C'était insupportable d'être là . De me retrouver confronter à mes propres problèmes à travers ces attaques aussi mesquines que réfléchies . Je me pliais comme un herbe fine subissant le vent . Heureusement, je ne me déracinais jamais , je subissais . Ses insultes rentraient par une oreille , bouleversaient un peu mes idées et repartaient . Ce que m'avait dit Jeoren il y a quelque jours, quelques semaines, quelques mois , je l'ai oublié . D'autres soucis plus gênant, des rendez-vous chez le psychologue avaient remplacé Jeoren dans mes souvenirs . Pourtant aujourd'hui, ce n'était pas pareil . Pas aussi glissant, plat . Les piques tournaient en rond, boomrang en liberté , qui finiraient par s'enfoncer dans le pauvre agent de sécurité informatique méritant que j'étais . Enery possédait mille fois plus d'ambition que n'importe qui dans les environs . Pourquoi ? Aucune idée . Probablement se met-il la pression tout seul . Ou est-il simplement hors-norme ? C'est un magnifique adversaire, et moi j'étais nul . Tellement peu attentif, ailleurs , perdu dans mon autre monde . Jeoren claquerait des doigts que quelqu'un viendrait me massacrer sur le champs . Le pouvoir, horreur parmis tant d'autres .
Qui me disait que je n'étais pas horrible ? Atroce d'inutilité, de nulité , antipathique malade . Je comptais dans le pourcentage d'handicapés obligatoires dans une entreprise . L'éternel perdant. J'étais l'homme qui parlait ainsi , alors qu'il fallait parler comme ça . Je souriais encore , me complaisant dans mon rôle d'incapable .

- Mais tout le monde sait qui vous êtes ! Vous avez votre réputation ... et j'ai la mienne .

J'entendis un petit soupir, dans le fond . C'est ça , être l'acteur d'une pièce ? Devoir supporter les réactions des spectatrices attendries ? Après tout on était pas à ça près . Les détails ridicules s'accumulaient . Le geek ou le sadique , qui donnait son côté comique à cette scène ? Je penchais pour moi . Personne ne riait de Jeoren, de peur de se prendre des heures sup' jusqu'à la mort . Je parle de vécu . D'ailleurs, personne ne m'as raconté ma maternelle . Je m'imagine mal, gosse déjà malade, à dessiner sur du papier kraft ( ce qui est , en vérité , plutôt compliqué ) .

- Si vous voulez que je réflechisse, que je vous donne une bonne raison pour enfin me virer , donnez moi donc un problème compliqué, allez-y ! En attendant je suis là à faire des opérations de routine parce qu'une de vos incapables d'employée utilise encore un mot de passe à trois lettres .

Restons dans l'esprit maternel , c'est plus calme qu'ailleurs .
Employ